Ville aliénante

D’abord je ne l’ai pas vu. Je l’ai entendu. Des cris qui ont déchiré mes tympans. Une voix tonitruante qui a coupé court à la discussion feutrée que je menais avec mon amie Lorette. Des mots jetés contre le mur des passants indifférents et pressés.

Sa voix d’ogre a envahi l’endroit surpeuplé de voyageurs en transit. J’ai imaginé un géant tant ses vociférations résonnaient aux quatre coins de la place. Mes oreilles ont eu chaud. Je n’ai pas compris son propos. J’y ai décelé des questions, des affirmations, des interpellations, des suggestions.

J’ai tenté d’apercevoir le crieur en posant haut mon regard au-dessus de la foule. Rien qui ne ressemblait au souvenir de mes perceptions auditives. 

Puis, le silence.

Fulgurant, de nouveau les cris. Le monologue a repris, tout autant enragé que saccadé. Mes yeux ont alors changé intuitivement de stratégie ; je l’ai repéré au vide qui s’était insidieusement creusé autour de lui. Un trou béant tel un tombeau s’apprêtant à recevoir un corps à peine refroidi.

Au centre de cet enclos artificiel, Barnabé ZUCOR.

Le choc s’est infiltré entre les informations sensorielles reçues l’instant d’avant et celles qui s’offraient à moi.

Barnabé ! Comment te décrire sans anéantir l’histoire que je connais à présent de toi. Tant pis, je compte sur la bienveillance de notre auditoire. Barnabé dis-je : petit, trapu, costaud, n’ayons pas peur des mots. Barnabé : propre et coquet, bien habillé. Sûr que tu ne sortais pas d’un bureau chic du quartier. Quand même, ton pantalon de velours brillait. Ta veste épaisse témoignait que tu n’étais pas sans le sou. Chevelu, propre le cheveu. 

Je t’ai observé plus attentivement tant ce que je voyais heurtait mon entendement. Je ne comprenais pas tes propos coléreux jetés à nos figures perplexes. Tu semblais si. Ordinaire. Tu étais un peu de chacun de nous, les voyeurs que tu avais sortis de leur torpeur. Ta peau hâlée, ni trop pour être perçu comme étranger, ni trop peu.