Maghreb 1

J'aimerais avoir le temps de vous dire le bleu intense du ciel sur la route, la traversée sans fin de l'Andalousie qui s'étire dans les cailloux et la brûlure du soleil, l'arrivée mythique au port d'Algésiras, la poésie d'Erri de Luca ponctuant le voyage. Le long voyage nous a préparés pour ce grand écart là !

Ici, tout est différent. Malgré la fatigue qui s'accumule pour chacun. J'ai l'âme remplie, ça déborde en moi et je me laisse bercer par ce courant doux et profond qui me ramène vers des ailleurs d'avant et des futurs rêvés.

Hier, Mekhnès, la "grande grande" ville au regard du village d'Oulmès, la pâtisserie orientale aux saveurs sucrées juste ce qu'il faut, les portes immenses de la ville impériale, la petite librairie avec quelques trouvailles, l'arrêt au bord de la route du retour pour les figues de barbarie avec les enfants (encore) et des sourires magnifiques.

Prendre le temps de raconter aussi, en vrac : l'absolu dépaysement, les carrioles avec des ânes, partout, les fermettes de pierres et de tôles, les petits étals pour toute boutique...

Les ados étaient émerveillés, criant au passage des frontières et des continents, même si les rivalités n'ont pas tardé à pointer : le temps de s'apprivoiser, de tester les limites, entre eux et avec nous... Rien ne fonctionne rapidement et tout change d'un jour à l'autre quand ce n'est pas dans l'heure qui suit. Goûter les saveurs aux épices colorées et odorantes, entrer chez l'habitant pour des temps de vie "ordinaires" qui pour nous sont à couper le souffle ! Tout respire l'ailleurs, le différent, et c'est absolument envoûtant...

Nous ne sommes pas seuls. Je ressens le portage de l'association qui a soutenu dès le premier jour ce voyage. Je vous souhaite dans vos vies de croire en des rêves fous, d’y consacrer toute votre énergie et quelques nuits d’insomnie afin qu’un jour il devienne projet puis présent. Car ce présent là vaut beaucoup plus que les mots que je tente de trouver.

Le regard des hommes est soi méprisant, soit tellement sexualisé que cela renvoie à une image éloignée de notre réalité. Les femmes nous regardent avec un mélange d'envie et de défiance. Je parle de celles et ceux que l'on croise sans s'arrêter. Car à chaque fois qu'il y a un peu de temps de vie à partager, la relation s'ouvre, respectueuse, invitante et conviviale.

Si ce n'est l'extrême brièveté des nuits et la permanence de la promiscuité, c'est une expérience de vie et de partage absolument incroyable. J'avais entraperçu des possibles, ils étaient en deçà du réel. Parfois, je me surprends à de brefs arrêts sur image. J'ai l'impression que tout en moi va imploser tant les émotions affluent. Alors, je ne sais plus où j'habite. J'ai des absences dans ces embarquées de trop ; trop beau, trop profond, trop fort.

Ce grand écart :

Entre le lourd passif des ados et leur adaptation à cet ailleurs,

La grande pauvreté ici, la rudesse des conditions de vie et la générosité des habitants qui nous ouvrent des portes sur leur intimité...

La saleté, les déchets, les insectes et les rampants dans nos chambres, les toilettes ultra-dégueu-quand-même- il-faut-le-dire, les quartiers de viande recouverts de mouches qui pendent aux étals tandis que nos assiettes ont le goût délicieux !

Faut-il ne rien avoir pour donner ?

Vous écrire est une fenêtre ouverte sur la vie qui ne s'est pas arrêtée ailleurs. Parce que je touche là cet état dans lequel je me sens depuis le départ : étrangère, en partie, étrangère à ma vie en France, à mon boulot de "chef", à la réalité de l'après. Et en même temps, je me sens vivante, présente au plus vrai de moi.