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Plum'Elles

Portées

Elle porte sur son visage les marques des années de quête qu’elle a traversées, parfois dans la difficulté. Il porte dans son rire l’enfant qu’il a été. Elle porte dans ses gestes les restes d’espérance d’un futur ensoleillé. Il porte dans sa fougue son appétit gargantuesque. Elle porte dans sa tendresse l’enfant blessée qui s’isole dans les recoins d’une petite école. Il porte dans sa prose le génie d’un homme éveillé. Elle porte dans ses mots la poésie des auteurs du monde entier. Il porte au bout de son sexe l’avidité d’un désir inachevé. Elle porte dans son sommeil les traits d’une femme reposée.
A distance, ils s’observent et s’impriment dans un lieu dépouillé des empreintes estropiées. Sous leurs pas, la danse de leurs corps ravive la soif. Elle voit au-delà des murs des bergeries aperçues par la fenêtre du véhicule. Il y a des lits sans draps pour accueillir leurs ébats. Il y a au pied des arbres des tapis de terre où se laisser tomber dans l’impatience. L’horizon peint plus d’avenir que de passé.
Il porte sa main à sa bouche pour dissimuler un sourire qu’il ne cesse de croire imparfait. Et il y a dans cette pudeur le geste émouvant de celui qui doute suffisamment sans en être empêché. Ses paupières se soulèvent au réveil d’une nuit écourtée par le plaisir. Des éclats cuivrés s’en échappent et viennent danser sur ses lèvres impatientes de la goûter. Le corps de la femme se tend sous la caresse de ses mains au creux de son dos. Elle résiste longtemps à l’abandon du plaisir pour préserver le secret de ce sexe qui la fait vibrer. Elle veut l’honorer dans cet éloge de la lenteur.
Dans le salon arabe de l’hôtel jusque là déserté, un homme zappe jusqu’à la chaîne « National Geographic », s’arrête sur un reportage d’Abu Dhabi. Avec des r gutturaux, « Cocaine, very good… Indian films in my room, very crazy… ».
Ce décalage fait oublier le manque qui est comme un sort jeté la veille du départ. Le passage d’ « on va se manquer » à « tu vas beaucoup me manquer » résonne comme une offrande, tel un attrapeur de rêves accroché au rétroviseur d’une voiture superstitieuse. La plupart du temps, elle est portée par le présent surchargé de ce voyage peu ordinaire. La mélancolie la rattrape parfois de vivre ça loin de lui. Il y a deux jours, elle a donné ses écrits à lire. Mieux, elle les a lus à voix murmure. Depuis, l’obsession de l’écriture la hante.
Une distraction encore. Les hommes qui ont interrompu la brève intimité du salon lui font porter un thé à la menthe. « Comment on dit menthe en anglais ? » dit l’un d’eux. « Mint. M.I.N.T ». Et l’homme dit à ses compagnons : « I comme I like Josie ». Et leurs mots traversent la femme, Istanbul, Brrrazil… Ils égrènent les noms de ville et de pays comme un chapelet. L’obsession de l’écriture donc. Tel un fantôme qui suinte dans les couloirs. Le besoin de sortir le carnet de voyage qui ne ressemble plus à rien de connu, étranger à lui-même.
Les mots sont insuffisants. Elle veut saisir une histoire, une de celles qui affleurent entre l’éveil et le sommeil. De ces histoires lumineuses qui guettent le relâchement de ses tensions pour se révéler tel une oasis dans le désert. C’est pour quand ?
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